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Du Fascia au système fascial : contributions et enjeux pour la thérapie manuelle

Dernière mise à jour : 1 févr. 2022

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Résumé Introduction : le te rme fascia tout comme son rôle exact dans le fonctionnement de l’organisme sont encore peu connus voire négligés par les thérapeutes manuels ou les physiothérapeutes alors que des approches telles que l’ostéopathie, le rolfing ou la fasciathérapie en ont fait depuis longtemps l’élément clé de leur action thérapeutique.

Développement : de nombreux auteurs considèrent le fascia comme un nouvel « organe » dont la particularité est d’être disséminé dans tout l’organisme. D’autres estiment que le fascia constitue le chaînon manquant permettant de comprendre l’action des thérapies manuelles. Cet article réalisé sur la base d’une revue de la littérature fait le point sur l’évolution de la définition du fascia et présente les fonctions de continuité, de contractilité et de sensibilité attribuées à ce nouvel organe.

Discussion : les données scientifiques les plus récentes viennent éclairer le rôle joué par le fascia dans le fonctionnement du corps humain et suscitent un regain d’intérêt de la part de la médecine conventionnelle. Elles jettent aussi un regard nouveau sur les principes et concepts théoriques et CHRISTIAN COURRAUD (PT, PHD) 1, 1. Directeur du Centre d’Étude et de Recherche en Psychopédagogie Perceptive (CERAP), Formateur à TMG Concept, Clermont-Ferrand (France) L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt Reçu en juin2018; accepté en janvier 2019.



Introduction Les mécanismes d’action des thérapies manuelles sont encore aujourd’hui peu connus et de nouveaux modèles intégrant la neurophysiologie et le modèle biopsychosocial viennent progressivement se substituer aux anciens concepts basés sur la seule biomécanique. Dans ce contexte, et au vu des découvertes les plus récentes sur le fascia (continuité, contractilité, sensibilité), il semble pertinent de s’intéresser à ce tissu méconnu et à ses fonctions pour mieux comprendre son implication dans le fonctionnement de l’organisme et par conséquent son intérêt pour la thérapie manuelle. Si des thérapeutiques ma- nuelles (Ostéopathie, Fasciathérapie, Rolfing, méthode Cyriax) ont depuis longtemps placé le fascia au centre de leur approche thérapeutique, une certaine méconnaissance, voire défiance règne toujours sur la réalité anatomique de ce tissu, sur son rôle dans le fonctionnement de l’organisme et sur la pertinence de son traitement. Ce scepticisme n’est pas nouveau puisque le fascia a longtemps été négligé par les anatomistes et dans le cadre de la médecine conventionnelle. Pourtant de plus en plus d’auteurs suggèrent que ce tissu pourrait être le chaînon manquant de la thérapie manuelle et proposent de redéfinir le paradigme des thérapies manuelles en y intégrant le fascia (1,2,3). Cet article fait le point sur l’évolution des connaissances actuelles sur le fascia et plus particulièrement sur sa définition et à la mise en évidence de ses fonctions spécifiques. Nous avons choisi de présenter trois de ces fonctions (continuité, contrac- tilité, sensibilité) qui permettent d’enrichir la compréhension de l’action des thérapies fasciales. Nous terminons cet article en émettant l’hypothèse que l’intégration du fascia dans la thérapie manuelle oblige à modifier la conception de la thé- rapie manuelle.

Développement Considéré comme la « Cendrillon de la recherche orthopédique » et le grand oublié de la médecine (4,5), le fascia a été régulièrement éliminé des observations anatomiques de sorte que l’étude des grands systèmes tels que le système muscu- lo-squelettique a été réalisée et enseignée sans prendre en compte le rôle du fascia : « L‘ensemble du système musculo- squelettique est habituellement étudié en tenant compte uniquement de ses composants osseux et musculaires, les fascias étant traditionnellement relégués à un rôle de maintien de ces composants » (5). Il faut souligner que les anatomistes ont toujours eu du mal à définir le fascia en raison de son omniprésence et de la difficulté à le disséquer et à l’isoler com- parativement aux autres structures anatomiques comme les muscles, les os et autres organes. Aujourd’hui, de nouvelles observations anatomiques mettent en évidence la présence du fascia et sa continuité ininterrompue à travers toutes les parties du corps malgré sa grande variété structurelle (6,7). Il devient ainsi possible de décrire différentes formes de tissu conjonctif allant du plus superficiel au plus profond et du plus lâche au plus organisé. Des observations in vivo confirment cette continuité tissulaire au niveau macro et microscopique et permettent surtout d’observer le comportement dynamique de ce tissu, ainsi que son rôle dans l’organisation et la structuration de la matière vivante (8). L’objectif de cette revue narrative est de clarifier le terme fascia à partir d’une série d’articles qui relatent les étapes ayant conduit à l’adoption d’un consensus sur la définition à donner à ce tissu et sur son intérêt pour la pratique clinique. Elle a également pour but de montrer la pertinence d’intégrer ces nouvelles données dans l’exercice de la thérapie manuelle et les enjeux théoriques et pra- tiques qui en découlent. Afin d’illustrer cette perspective, nous avons choisi de sélectionner des articles récents qui soutiennent l’existence de fonctions propres au système fascial (continuité tissulaire, contractilité et sensibilité fasciale) et les avons mis en discussion avec des articles fondateurs de l’ostéopathie et de la fasciathérapie, évoquant les concepts clés de ces approches pion- nières des thérapies fasciales (unité fonctionnelle, notion de lésion tissulaire ou encore d’auto-régulation somatique et somato- psychique). Du fascia au système fascial Malgré ces avancées, il n’existe jusqu’à ce jour aucune définition qui fasse l’unanimité dans les différentes nomencla- tures internationales. Le terme fascia étant d’origine latine, sa traduction, sa définition et sa signification diffère selon les pays et la langue (9). De plus, des termes aussi différents que membranes, tissu conjonctif, tissu connectif, fascia ou encore système fascial ont été indifféremment utilisés par les anatomistes et par les cliniciens pour définir le fascia. Le terme fascia ne désignait et ne définissait ainsi pas systématiquement toujours les mêmes structures. Ces différences de terminologie et de classification montrent que le champ du fascia n’était pas encore clairement stabilisé (10,11). En 2007, un premier pas a été franchi avec la définition donnée lors du 3e Fascia Research Congress: « Le fascia est le com- posant des tissus mous du système conjonctif qui imprègne le corps humain en formant une matrice tridimensionnelle conti- nue dans le corps entier et servant de support structurel. C’est une matrice viscoélastique qui enveloppe les muscles, les os et les organes et constitue un réseau continu dans le corps entier. » (12) (ndlr: traduction de l’auteur). Cette définition a impo- sé le fascia comme la matrice structurelle et unifiante du corps humain et admis son omniprésence et sa continuité à travers la totalité de l’organisme. Le fascia est ainsi défini comme un tissu unique parcourant l’ensemble du corps et changeant son arrangement et sa structure en fonction des rôles qu’il doit remplir localement. Langevin et Huijing (2009), en admettant cette définition, ont proposé de leur côté douze termes se rapportant à des structures anatomiques qui peuvent être regroupés sous le terme fascia: « Douze termes englobant des structures appe- lées fascias ont été proposés : le tissu conjonctif dense, le tissu conjonctif aréolaire, le fascia profond, le fascia superficiel, les membranes interosseuses, les septums intermusculaires, l’épimysium, le périmysium, l’endomysium, le périoste, le tractus neurovasculaire et les aponévroses intra- et extramusculaires. » (13) (ndlr: traduction de l’auteur). D’autres auteurs ont ensuite repris cette définition en y intégrant les principes de la tenségrité (voir encadré) comparant le fascia à un vaste réseau tensionnel interconnecté répandu dans le corps entier (14). Une différence entre fascia et tissu conjonctif a également été proposée: les fascias excluent le cartilage et les os et le terme fascia est assimilé à celui de tissu connectif. Notion de tenségrité et de biotenségrité Le terme « biotenségrité » est l’association des termes « tenségrité » emprunté à l’architecture (Buckminster Fuller, 1949) et « bio » désignant la matière vivante. Il s’agit donc d’une transposition théorique des principes de l’architecture à la structure du corps humain, à la biomécanique et la biologie. Ce modèle théorique de biotenségrité est composé d’éléments en compression (les os) et d’éléments de tension (les fascias). Cette approche offre une compréhension de la manière dont le corps humain peut s’adapter aux contraintes, se déformer tout en gardant sa stabilité. Ce système explique théoriquement que les forces sont distribuées et réparties har- monieusement dans la totalité des structures (répartition omnidirectionnelle des forces) Des classifications fonctionnelles du fascia basées sur le rôle et l’organisation anatomique ont également été proposées pour différencier des couches de fascia. Kumka et Bonar (2012) rangent les fascias selon leur fonction de liaison, de fasci- culation, de compression ou de séparation à partir de leurs propriétés anatomique et histologique (15). Willard et al (2012) proposent un système généralisé de classification comprenant quatre types fondamentaux de fascia : le fascia panniculaire ou superficiel qui enveloppe le corps et se situe directement sous la peau, le fascia profond (ou fascia axial ou appendiculaire) qui entoure et pénètre dans le système musculo-squelettique, le fascia méningé qui recouvre le système nerveux central et le fascia viscéral qui investit les cavités viscérales et leurs organes (16). Bois (1984, 1990) a, de son côté, proposé une classification fonctionnelle et clinique proche de celle suggérée par Willard en distinguant cinq types de couches fasciales : le fascia superficiel (sous-cutané), le fascia axial périphérique (musculo-squelettique), le fascia axial profond (viscéral), le fas- cia dure-mérien et le fascia vasculaire. (17,18) Le Fascia Research Congress de 2015 a permis de faire avancer cette réflexion en émettant une distinction entre “Fascia” et « Sytème fascial ». Le Fascia Nomenclature Comittee (FNC) constitué d’experts internationaux nommés par la Fascia Re- search Society a ainsi rédigé une définition précise, distincte et argumentée de ces deux termes (19) : • Le terme « Fascia » (a fascia) est ainsi présenté : « Un fascia est une gaine, un feuillet ou tout autre nombre d’agrégats dis- sécables de tissu conjonctif qui se forment sous la peau pour attacher, enfermer, séparer les muscles et autres organes in- ternes. ». Cette définition est proche de celle existant dans le Terminologia Anatomica (FCAT, 1998 ; Federative Internatio- nal Programme on Anatomical Terminologies [FIPAT] 2011) ; • Le terme « Système fascial. » (the fascial system) est ainsi décrit : « Le système fascial est un continuum tridimension- nel de tissus conjonctifs mous, lâches et fibreux contenant du collagène imprégnant le corps. Il comprend des éléments tels que le tissu adipeux, les adventices et les gaines neu rovasculaires, les aponévroses, les fascias profonds et su- perficiels, l’épinèvre, les capsules articulaires, les ligaments, les membranes, les méninges, les expansions myofasciales, le périoste, les rétinacula, les septa, les tendons, les fascias viscéraux et tous les tissus conjonctifs intermusculaires, y compris l’endo, le péri et l’épimysium. Le système fascial interpénètre et entoure tous les organes, les muscles, les os et les fibres nerveuses, dotant le corps d’une structure fonctionnelle et fournissant un environnement qui permet à tous les systèmes du corps de fonctionner de manière intégrée. » (ndlr: traduction de l’auteur). Cette définition globaliste, selon les termes employés par les auteurs, fait ressortir l’omniprésence du fascia, sa continuité, son in- terconnexion et son intégration dans tous les systèmes du corps humain. Le système fascial est ainsi apparenté à un nouveau système corporel favorisant l’action et l’inter relation entre tous les autres systèmes corporels. Ces nouvelles définitions sont assez proches de celles données dans les concepts de thérapies qui s’adressent au fascia. Toutes ont en effet pour point commun d’avoir décrit le fascia comme le tissu qui fait du corps une entité globale, qui sert de support à l’unité dynamique de fonction et qui est impliqué dans les dysfonctions des différents systèmes musculo-squelettique, vis- céral, neurologique ou vasculaire (17,20,21).

Les fonctions du système fascial Si le fascia intéresse aujourd’hui autant les cliniciens et les chercheurs, c’est, bien évidemment en raison de son omnipré- sence dans le corps humain, mais surtout, pour son rôle dans le fonctionnement des grands systèmes. Jusque-là méconnues et donc sous-estimée, les nombreuses fonctions spécifiques du fascia sont aujourd’hui de mieux en mieux documentées. Quéré, dans une revue de la littérature en 2010, a ainsi listé douze fonctions différentes (biomécaniques, biologiques, biochimiques) attribuées au tissu conjonctif (22). Dans une revue de la littérature plus récente Kwong et Findley (2014) ont relaté l’existence de cinq fonctions spécifiques du fascia jouant un rôle essentiel dans le fonctionnement du système musculo-squelettique (continuité, transmission de la force myofasciale, mécanotransduction, glissement et innervation) (1). Comme le soulignent Astrum et al (2017) la liste de ces fonctions n’est pas encore close et d’autres aspects du fascia peuvent encore être mis en évidence (19). Certaines de ces fonctions sont unanimement reconnues par la médecine conventionnelle: enveloppement, protection, sou- tien, séparation, remplissage. Ces propriétés du tissu conjonctif ont toutefois un intérêt marginal pour les thérapeutes du fascia. D’autres propriétés de ce tissu sont en revanche beaucoup plus intéressantes car elles éclairent certains concepts clés de l’os- téopathie, de la fasciathérapie et d’autres thérapies manuelles qui revendiquent une action sur le fascia. Nous avons choisi de développer spécifiquement trois de ces fonctions, la continuité, la contractilité et la sensibilité fasciale, car elles contribuent à éclairer des concepts couramment utilisés en thérapie manuelle et plus particulièrement en ostéopathie et fasciathérapie (telles que la globalité, la dysfonction tissulaire et la notion d’auto-régulation) mais dont l’étayage théorique et scientifique est en- core très souvent discuté et remis en question.

Existence d’une continuité fasciale ou tissulaire L’existence d’une continuité fibrillaire totale étendue à tous les niveaux d’organisation du corps humain (macro et microsco- pique) et dans tous les plans de l’espace est aujourd’hui une évidence (8). Grâce au réseau fascial, les organes, les muscles et toutes les structures anatomiques sont interconnectées entre elles créant une unité fonctionnelle. Ce système fascial assure la transmission et la répartition des forces de déformation dans l’ensemble du corps tout en maintenant l’intégrité tissulaire. Il se comporte également comme un organe de communication transmettant des informations à travers l’ensemble du système corporel en relation avec le système nerveux central et périphérique. Le terme connectif parfois employé pour désigner le fascia rend compte de ce rôle de communication. Le meilleur exemple de cette unité fonctionnelle se situe au niveau du système musculo-squelettique: le fascia y joue un rôle essentiel dans la transmission (« myofascial force transmission ») et dans la répartition et l’organisation de la force musculaire grâce aux connexions myofasciales. Les fascias informent aussi en permanence l’ensemble des muscles de leur état de tension réciproque favorisant des ajustements tensionnels constants et spontanés des chaines myofasciales (système de tension réciproque) (6,23,24).

Mise en évidence d’un tonus fascial Cette fonction mise en lumière expérimentalement 25) démontre que le fascia n’est pas un tissu passif mais ses capa- cités contractiles en font un organe actif capable d’optimiser le bon fonctionnement de l’organisme (organisation structurale de la matière, répartition de la force musculaire, régulation de la posture et de la coordination du mouvement, anticipation et absorption des contraintes mécaniques, régulation de l’activité biologique et liquidienne). Plusieurs types de tonus sont ainsi décrits (Figure 1): • Un tonus tenségral dont le rôle consiste à maintenir la stabilité et l’unité du système corporel tout en permettant des ajustements pour absorber les contraintes, éviter les blessures et les surcharges (répartition omnidirectionnelle des forces). Ce tonus fascial assure également le transfert d’informations mécaniques entre toutes les parties du corps humain (système connectif de mécanotransduction) (14) ;

• Un tonus fascial dû à la capacité contractile des fascias grâce à la présence de cellules musculaires lisses (myo- fibroblastes) dans les tissus fasciaux. Ce tonus fascial joue un rôle positif dans la contraction et la rigidité myofasciale mais son implication dans les pathologies du rachis, les lésions musculaires, les syndromes douloureux chroniques, les céphalées de tension ou les douleurs viscérales est également évoquée (26) ;

• Un psychotonus basé sur l’interconnexion et l’interdé- pendance des tonus fascial, psychique et musculaire. Ce psychotonus traduit cette intégration des fonctions phy- siologiques et psychologiques du tonus (rôle dans les émotions, la conscience corporelle, la construction des affects, la communication ou l’empathie) et ses perturbations peuvent expliquer les phénomènes de douleur, de soma- tisation, de tension, d’anxiété, de mal-être ou d’instabilité émotionnelle rencontrés dans la pratique clinique (22,27).

Mise en évidence d’une sensibilité fasciale De nombreuses recherches ont mis en évidence la richesse de l’innervation des tissus fasciaux et leur implication dans la pro- prioception, la nociception et l’intéroception (28,29,30). Deux grandes familles de récepteurs peuvent être distinguées: • 20% sont des mécanorécepteurs de type I et II (Golgi, corpuscules de Pacini et Paciniformes, organes de Ruffini). Si- tués dans les jonctions myotendineuses, les zones d’insertion aponévrotique, les ligaments, le périoste ou encore les capsules articulaires. Ces récepteurs sensibles à l’étirement, à la contraction ou encore aux pressions et tractions mé- caniques jouent un rôle essentiel dans la proprioception, la coordination et l’organisation du mouvement; • 80% sont des récepteurs intrafasciaux interstitiels de type III et IV dont la grande majorité est non myélinisée. Ce très grand nombre de fibres non myélinisées suggère que le système myofascial est fortement impliqué dans les pro- cessus d’autorégulation du corps (régulation de la tension artérielle, de la fréquence cardiaque et de la respiration), dans la nociception et surtout dans l’intéroception. Des études récentes ont démontré l’existence de récepteurs nociceptifs dans le fascia et mis en évidence son implication dans la douleur. L’existence d’une douleur fasciale distincte de la douleur musculaire et cutanée a été objectivée (30). Des terminaisons ont été découvertes dans le fascia thoraco-lombaire (31) et des études démontrent son implica- tion dans les troubles musculo-squelettiques et notamment dans les lombalgies (32,33). Des études désignent le rôle joué par le fascia dans les phénomènes de sensibilisation centrale comme dans le syndrome fibromyalgique (34,35) et les dou- leurs myofasciales (36). D’autre part, la présence de récepteurs cannabinoïdes dans les fascias pourrait expliquer son rôle dans la génération de la douleur et fournir un support à l’efficacité de certaines thérapies des fascias (37). Enfin, en raison de sa participation à l’intéroception, le fascia pourrait également être impliqué dans des pathologies com- plexes telles que les syndromes médicalement inexpliqués (38), l’anxiété, la dépression, le syndrome du côlon irritable (39). (Fi- gure 2).

Discussion Comme nous l’avons évoqué dans l’introduction, le fascia n’a pas encore trouvé toute sa place dans le champ des thérapies manuelles et de la physiothérapie. Mais les nouvelles données sur ce tissu sont en train de produire leur effet. Ainsi, certains praticiens de la médecine physique conventionnelle estiment qu’on ne peut plus se passer de cette nouvelle connaissance pour comprendre le fonctionnement du système musculo- squelettique et envisagent même qu’elle devrait conduire à l’élaboration d’une nouvelle manière de traiter ses dysfonctions : « Les praticiens de médecine physique ont une occasion unique d ajouter à la connaissance scientifique et clinique croissante le sujet du fascia, en particulier sur la façon dont ce réseau de tissu conjonctif « peut s’impliquer en clinique dans les troubles musculo-squelettiques. » (1). Pour d’autres auteurs, le fascia est peut-être le « chaînon manquant » permettant d’expliquer les effets thérapeutiques de toutes les thérapies manuelles qu’elles soient manipulatives ou myofasciales : « Il est proposé qu’un mécanisme biologi- quement plausible peut générer une composante importante des effets observés de thérapies manuelles de toutes sortes, est la stimulation thérapeutique du fascia sous ses diverses formes dans le corps. » (3) (ndlr: traduction de l’auteur). De plus, l’omniprésence du fascia et son intégration dans tous les systèmes du corps humain et ses interconnexions avec le système nerveux expliquent sans doute également que les thérapies manuelles du fascia puissent aborder de façon plausible et rationnelle des pathologies complexes telles que la douleur chronique, la fibromyalgie, le syndrome du côlon irritable ou encore l’anxiété. Ce champ d’application pourrait ouvrir de nouvelles perspectives pour les thérapeutes manuels confron- tés à des pathologies qui se situent au carrefour du corps et du psychisme. Il semble donc évident que la science du fascia va devenir à plus ou moins long terme une source prometteuse d’informations pour les thérapies manuelles et la physiothérapie en général avec comme corollaire un renouvellement de pensée et de la pratique clinique. Les approches thérapeutiques manuelles telles que l’ostéopathie, le rolfing et la fasciathérapie peuvent servir de cadre de référence pour construire cette nouvelle approche. Nous avons choisi de présenter trois concepts tirés de la fasciathérapie méthode Danis Bois (l’unité dynamique de fonction, la dynamique contractile élastique des fascias et l’accordage somato-psychique) qui en proximité avec les fonctions du fascia précédemment développées (continuité, contractilité, sensibilité) donnent un aperçu des enjeux de ce changement de paradigme.

Concept d’unité dynamique de fonction Les thérapies manuelles telles que la fasciathérapie ou l’ostéopathie se présentent avant tout comme des approches glo- bales considérant le corps comme une unité dynamique de fonction. Elles s’appuient sur l’omniprésence et la continuité du système fascial pour justifier un mode d’action thérapeutique prenant en compte l’ensemble du corps et l’interdé- pendance des éléments anatomiques. Les notions empiriques d’« Unité dynamique de fonction » ou de « Globalité fonc- tionnelle » sont proches de celles de « continuité tissulaire » et « fasciale » issues de l’observation anatomique et chirurgicale développées précédemment. La notion de « système fascial » est également plus conforme à l’action globale des thérapies des fascias qui s’adressent indif- féremment au système musculo-squelettique, viscéral, nerveux ou encore cardio-vasculaire. Le traitement de ce système fascial pourrait même être envisagé comme un moyen de favoriser l’interaction entre tous les différents systèmes corporels. On peut ainsi comprendre pourquoi les thérapies des fascias ne se limitent pas au trouble musculo-squelettique mais s’adressent aux troubles viscéraux, neurologiques et à leur interdépendance dans les mécanismes pathologiques.

Concept de « Dynamique contractile élastique des fascias » Les thérapies manuelles des fascias ont pour objectif d’agir spécifiquement sur les tensions, les crispations voire les contractures fasciales. Les praticiens utilisent les termes de relâchement, d’effondrement ou encore de fonte tissulaire pour décrire leur action thérapeutique. Cette notion de contractilité fasciale et son implication dans la physiopathologie n’est pas neuve puisque dès 1990, Bois décrit une «Dynamique Contractile Élastique des fascias » dont la crispation dite « au- tonome » est à l’origine de la pathologie fonctionnelle (18). Le rôle pathophysiologique de ce tonus fascial est aujourd’hui, comme nous l’avons évoqué précédemment, bien documenté et des relations entre ce tonus et le concept de lésion tissulaire sont même proposées (40,41,42,43).

Concept d’unité corps-psychisme ou accordage somato-psychique Certaines thérapies fasciales comme certains concepts en ostéopathie et la fasciathérapie se présentent comme des ap- proches intégratives qui s’adressent simultanément au corps et au psychisme. L’implication du fascia dans les relations entre le corps et le psychisme et dans les processus d’autorégulation somato-psychique est aujourd’hui mise en évidence. Il est ainsi logique que les traitements des fascias produisent des changements de la perception du corps et de la conscience de soi (Body and Self Awarness). Certaines approches comme la fasciathérapie se définissent même spécifiquement comme des thérapies dont l’objectif est de favoriser le processus d’intégration corps/psychisme (« accordage somato-psychique ») considérant que les troubles du système fascial engendrent une rupture de cette unité somato-psychique à l’origine de douleurs, de troubles fonctionnels ou de mal-être sans cause organique (44,45). Des enquêtes ont permis de mettre en évi- dence les effets non spécifiques de cette approche et l’intérêt qu’elle peut avoir dans le traitement et l’accompagnement de patients souffrant de douleurs et de souffrances somatiques et psychiques (46,47,48).

Conclusion Alors que les mécanismes d’action des thérapies manuelles font l’objet de discussion et d’hypothèses (49), les découvertes sur le fascia constituent sans aucun doute un ensemble de données solides, susceptibles de contribuer à la construc- tion d’un nouveau paradigme scientifique pour les thérapies manuelles. L’affirmation de l’existence d’un « système fas- cial» omniprésent dans tous les grands systèmes corporels (cardio-vasculaire, respiratoire, gastro-intestinal, muscu- lo-squelettique et neurologique) et favorisant leur bonne fonction suggère la pertinence de mieux connaître ce tissu pour mieux le traiter. La découverte des différentes fonctions remplies par le fascia semble pouvoir alimenter la réflexion sur les concepts souvent discutés de « lésion tissulaire » ou de « dysfonction somatique » (50), rend plausible la possibilité de «toucher » l’unité somato-psychique et contribue à mieux comprendre les mécanismes d’action des thérapies manuelles tant sur le plan fonctionnel que sur la douleur ou le bien-être psychologique des patients. Toutefois, l’intégration de ce système fascial dans la pratique clinique impliquerait sans doute un renouvellement des mo- dèles diagnostiques et thérapeutiques afin d’appréhender et de dialoguer avec ce « système fascial ». Car si tous les thé- rapeutes manuels traitent le fascia sans le savoir, aborder le « système fascial » dans sa totalité en respectant son intégrité nécessite de prendre en compte sa continuité, ses capacités contractiles et sa sensibilité. Les thérapies manuelles des fas- cias telles que l’ostéopathie et la fasciathérapie ont montré le chemin en développant des concepts tels que la globalité fonctionnelle, la crispation fasciale ou encore l’accordage somato-psychique. En conclusion, cet article témoigne également que la pratique est parfois en avance sur la science instrumentale puisque les recherches actuelles sur le fascia semblent confirmer ou tout au moins montrer l’existence de points de convergence avec les intuitions formulées par certains pionniers de l’ostéopathie et de la fasciathérapie (20).


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